Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Cantien-Éloi Degommier (1815-1890)

  • Maire de Cerny (…1888…)

Famille

  • Cantien-Éloi Degommier, né le 5 décembre 1815 à Cerny, était le fils de Marie-Madeleine Servant (1782-1871) et du cultivateur Cantien-Philippe Degommier (1777-1837), tous deux mariés le 25 avril 1809 à Puiselet-le-Marais.
  • Il mourut à Cerny le 11 novembre 1890 âgé de 74 ans.

Carrière

  • Clerc de notaire
  • Maire de Cerny (…1888…)
  • Propriétaire (…1890)

Documents

  • Naissance à Cerny en 1815 — AD91 4E/474.

  • Lettre au directeur de La MarseillaiseLa Marseillaise (6 avril 1888) 2.

  • Transcription
    • M. le Directeur, je viens m'entretenir avec vous des garennes dont les lapins causent de grands dégâts aux récoltes en terre sur le territoire de la commune de Cerny, lieu dit les Hauteurs du bois des Veaux, touchant aux territoires de Bouray et d'Itteville.
    • Le mot garenne vient de gare, c'est-à dire le lapin se garant dans les terriers. Les garennes de notre pays sont dans l'immense quantité de bois dépendant des communes d'Auvers-Saint-Georges, Bouray, Itteville, au milieu de grands rochers. La garenne est le fléau des propriétaires et cultivateurs voisins. Les uns ont de grandes difficultés pour louer leurs terres et les autres voient leurs cultures, fruit de leur travail, dévorées jusqu’à la racine par des centaines de lapins.
    • Avant 1789, on distinguait comme aujourd'hui deux sortes de garennes, celles ouvertes et celles fermées. Je ne m'occuperai que des premières, les seules qui portent préjudice à autrui. À cette époque, les garennes ouvertes n'étaient permises qu'aux seigneurs de fiefs ayant droit de justice. Durant la Féodalité, les seigneurs ne pouvaient établir ou augmenter leurs garennes sans la permission du roi, et même lorsque les lapins d'une garenne ouverte causaient trop de dégâts dans le voisinage, on ordonnait leur destruction,en permettant à chacun de chasser avec tout engin. Dans certaines localités l'établissement d’une garenne était subordonnée à une enquête, dans l'intérêt des propriétés voisines. En outre de cette formalité, le propriétaire féodal devait posséder autour de la garenne une étendue de terres suffisante pour la nourriture des lapins.
    • La pénalité de la chasse sous l'ancien régime était rigoureuse, barbare, elle serait incroyable si l'histoire n'était là pour prouver les actes inouïs de brutalité des privilégiés et le profond mépris qu'ils avaient de la vie des paysans. Le décret de 1601 édictait la peine de mort contre le braconnier pris en récidive de chasser la grosse bête dans les forêts royales. Le laboureur ne pouvait chasser le gibier qui dévorait sa récolte autrement que par des cris.
    • Louis XIV était un peu moins rigoureux qu'Henri IV. Les peines pour le roturier étaient pour la première fois 100 livres d'amende, 200 livres pour la seconde et le carcan avec le bannissement à 20 lieues de distance pendant trois ans. Le braconnage dans les forêts royales était puni du fouet jusqu'à effusion du sang, de l'emprisonnement et des galères.
    • L'abolition des privilèges de la noblesse fut l'une des causes qui contribuèrent le plus à faire accueillir l'abolition avec enthousiasme.
    • Jusqu'au commencement du dix-septième siècle, la poudre n'étant pas connue, la chasse se faisait au moyen de pièges, de lévriers, de panneaux, de filets et de faucons dressés à la châsse des petits oiseaux.
    • Autrefois les seigneurs restaient toute l'année dans leurs domaines, s'occupaient beaucoup de chasse et détruisaient les lapins des garennes trop peuplées. Il n'en est plus de même aujourd'hui, où beaucoup de grands propriétaires sont citadins et ne chassent que rarement, en sorte que le gibier pullule dans les endroits où la chasse est gardée.
    • Les lapins ont été, de tout temps, le gibier qui a causé les plus grands maux à nos ancêtres. En remontant à une centaine d'années et en suivant le récit de nos pères, nous avons appris que nos vallées entourées de bois étaient ravagées par ces lapins, qu'il fallait respecter comme des animaux sacrés, et que dans certaines années, notamment celles de 1767 à 1770, le dommage aux récoltes était tel, que les habitants étaient en pleine disette et famine et étaient réduits à faire une sorte de pain avec de la farine de glands, car la pomme de terre était encore inconnue, ce qui occasionna une grande mortalité.
    • Le manque de récolte conduisait au manque de bestiaux et à la maigreur des terres non fumées qui ne pouvaient plus produire de blé; mais de menus grains comme le seigle, l'avoine, le sarrasin, dont la grossière farine servait de principal aliment aux malheureux paysans.
    • Les seuls boulangers de la Ferté-Alais, Morel et Bouard, allaient porter dans les villages voisins du pain de blé au seigneur et au curé, tandis qu'aujourd'hui cinq voitures de boulangers approvisionnent de pain blanc toute la population.
    • Les terres, à ces époques, appartenaient aux seigneurs, aux couvents et aux églises; le paysan en possédait peu, si ce n'est de mauvais friches dont les châtelains ne voulaient point. Le propriétaire louait bien ses terres, mais elles lui rapportaient peu à cause de la misère des cultivateurs.
    • Je vais maintenant parler des garennes depuis la Révolution de 1789 jusqu'à la loi sur la chasse de 1884.
    • Un décret du 22 août 1790 abolit les ordonnances qui réglementaient les droits de chasse et de garenne sous l'ancienne monarchie et consacrait pour le propriétaire le droit de détruire ou faire détruire toutes espèces de gibier.
    • L'article 1er défend de chasser sur le terrain d'autrui sans son consentement à peine de 20 livres d'amendes au profit de la commune et d'une indemnité de 10 livres pour le propriétaire.
    • L'article 15 explique qu'en tout temps les propriétaires ou possesseurs et mêmes les fermiers sont libre de détruire le gibier dans les récoltes non closes en se servant de fusils, collets, panneaux et autres engins ne pouvant nuire aux fruits de la terre, comme aussi de repousser avec des armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient dans les récoltes.
    • Cette loi ne parlait pas avec raison des garennes puisque les possesseurs de récoltes pouvaient employer tous engins pour détruire les lapins.
    • Aussitôt cette loi loi sortie, cultivateurs et fermiers se mirent à l'œuvre pour détruire ces lapins qui avaient fait leur ruine; ils mangèrent des lièvres et des perdrix auxquels ils n'avaient jamais goûté tant il était périlleux de les tuer.
    • Cette législation dura 54 ans, c'est à dire jusqu'en 1844, époque à laquelle fut rendue la loi qui abrogeait celle de 1790 en en conservant toutefois certaines dispositions. Cette loi ne reconnaît que deux sortes de chasse, celle à tir avec fusil et celle à courre avec des chiens en considérant comme braconnage l'emploi des filets, panneaux et collets, à l'exception des bourses et furets destinés à prendre les lapins et des pièges employés contre les animaux nuisibles ou les oiseaux de proie; elle interdit la chasse de nuit et porte à 25 francs le prix du permis de chasse qui jusqu'alors n’avait été que de 15 francs, elle défend de prendre sur la propriété d'autrui les œufs et les couvées.
    • Cette loi est sévère; elle punit d'une amende de 16 à 200 fr. ceux qui auront chassé sans permis et ceux qui auront chassé sur le terrain d'autrui, avec faculté d'emprisonnement, d'une amende de 50 à 20 francs ceux qui auront chassé en temps prohibé, ceux qui seront détenteurs ou qui seront trouvés munis hors de leurs domiciles de filets ou autres engins de chasse prohibés; elle annule la loi du 30 avril 1790 et le décret du 4 mai de la même année.
    • Ainsi, après 53 ans, sous un gouvernement de progrès, c'est une loi de réaction qui est intervenue pour réglementer la chasse; il est vrai qu’elle fut votée par un parlement élu par le suffrage restreint d'où l'élément populaire était exclus.
    • Les rigueurs de cette loi ont été la cause de grands tourments pour certains ouvriers agricoles et certains petits propriétaires. Malheur à celui qui avait la réputation de placer des collets, son domicile était envahi par la police et le ménage ruiné par les amendes et la prison.
    • D'un autre côté les fermiers, cultivateurs et possesseurs de récoltes, écrasés des restrictions apportées par la police, qui à leur droit de destruction des lapins et des animaux nuisibles, en gardèrent rancune au gouvernement de Louis-Philippe.
    • Tout le monde est d'accord qu'il faut une loi sur la chasse pour éviter la destruction entière du gibier; le droit de chasse donne en outre des ressources au gouvernement et aux communes, mais lorsqu'il y a excès de gibier, comme pour les garennes ouvertes, il devrait être permis d'employer les moyens les plus énergiques.
    • En 1882, on commençait à entrer en vraie République; le conseil général de Seine-et-Oise, trouvant avec raison que la loi de 1844 était une entrave à la destruction des animaux nuisibles et des lapins de garenne, pria l'administration départementale de prendre des arrêtés pour modifier cet état de choses.
    • C'est à la suite de ce vœu que M. le Préfet prit, à la date du 16 février 1882, un arrêté général sur la police de la chasse en ce qui concerne les animaux nuisibles.
    • L'article 5 porte que tout propriétaire, possesseur ou fermier a le droit de repousser et de détruire, même avec des armes à feu, sans autorisation spéciale, et de prendre aux pièges autres que les lacets, mais dans ses terres ou récoltes seulement, les bêtes fauves, telles que sangliers, loups, cerfs, biches, renards, fouines, blaireaux, chats sauvages, belettes et putois.
    • L'article 6 porte que les lapins, les cerfs et les biches sont, aux termes des délibérations du Conseil général, classés parmi les animaux malfaisants et nuisibles; que la destruction des lapins sans permis de chasse est permise en tout temps au moyen de bourses et furets; qu’après la clôture de la chasse les lapins, les cerfs et les biches pourront être détruits au moyen du fusil et des chiens courants par le propriétaire, possesseur ou fermier, en vertu d’une autorisation spéciale délivrée sur l'avis du maire par le sous-préfet; que l'impétrant pourrait se faire aider dans cette destruction parles gardes des propriétés aussi bien que par les propriétaires de récoltes auxquelles les lapins causeraient des dommages.
    • L’article 12 explique qu'il est formellement interdit de faire usage de panneaux, de filets, de toute espèce de chanterelles, lacets, gluaux, collets et autres engins analogues.
    • L'article 14 dit que tout individu qui, sous prétexte de détruire des animaux nuisibles ou malfaisants, se livrerait à l'exercice de la chasse en temps prohibé serait poursuivi conformément à la loi.
    • Je dirai de cet arrêté ce que j’ai dit pour la loi de 1844, il est bon pour tous les lapins de plaine et de buisson mais non pour ceux des garennes; en effet, on ne peut faire une grande destruction par les moyens indiqués. Dans les bois, les rochers, il n'y a absolument que les collets, les filets et les panneaux qui soient efficaces pour obtenir une destruction assez forte pouvant garantir les récoltes des cultivateurs voisins, comme le permettait la loi de 1790. En effet, au premier coup de fusil et au premier aboiement d'un chien, tous les lapins rentrent dans leurs terriers.
    • Il y en a qui disent, réclamez contre les propriétaires de garennes, demandez des dommages-intérêts. Oui, quelques propriétaires ont fait cela il y a quelques années, mais quel temps ne faut-il pas pour arriver là? On va d'abord devant le juge de paix, il faut une enquête, cela demande toute une année. Si le propriétaire est condamné, il en appelle à l'arrondissement, sursis, un an ou deux; s'il est encore condamné, il en appelle en cassation. C'est trois ans qu'il faut pour obtenir peu de chose, on a perdu son temps et les frais d'avoué et d’avocats absorbent l'indemnité. C'est pourquoi les malheureux ruinés par les lapins renoncent presque toujours à poursuivre le riche voisin.
    • Moi qui ai vu toutes ces choses depuis quarante-deux ans que je suis dans la municipalité, je suis convaincu qu'il n'y a qu'une bonne loi qui puisse remédier au mal, c'est une loi permettant l'emploi de tous les engins.
    • Aujourd'hui que le gouvernement s'occupe beaucoup d'instruire les cultivateurs sur l'emploi des engrais, il devrait leur donner une bonne loi pour favoriser la destruction des rongeurs des récoltes. Le code rural en préparation et qui se fait bien attendre devrait aussi s'occuper de garennes ouvertes.
    • Rappelons, pour terminer, aux députés républicains, qu'ils n'imitent guère leurs prédécesseurs de 1790 qui se sont immédiatement occupés de voter une excellente loi sur la chasse pour sauvegarder les intérêts des cultivateurs. Nous nous proposons de leur en demander compte aux prochaines élections.
    • Telles sont, monsieur le Directeur, les observations que je soumets aux méditations de nos législateurs. J'ai approuvé la loi de 1790 et critiqué l'arrêté préfectoral de 1882 comme insuffisant. Cependant, c'est la loi; nous nous soumettons en attendant un changement légal qui, je l'espère, ne se fera pas attendre.
      • Degommier,
      • Maire de Cerny.
  • Décès à Cerny en 1815 — AD91 4E/3175.

Bibliographie

  • Cantien-Éloi Degommier, “Agriculture et chasse” (lettre au directeur de La Marseillaise), La Marseillaise (6 avril 1888) 2.

Dictyographie

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